MORÉ, "Benny", Bartolomé (Santa Isabel de Las Lajas 1919-La Havane 1963)

Descendant d'esclave Congo, Bartolomé est élevé sur la terre donnée, à l'abolition de l'esclavage, par un maître au grand cœur. Il vit dans la communauté installée sur celle-ci et fréquente l'école jusqu'aux années trente. Il doit alors travailler aux champs. C'est pendant les travaux agricoles que Bartolomé commence à chanter, mais aussi à jouer sur diverses percussions, les rythmes africains. Doté d'une oreille hors du commun, il apprend et retient avec une facilité étonnante. Rapidement il ne pense plus qu'à la chanson et à la musique, organise un ensemble de fortune avec ses frères et sœurs et donne libre cours à son goût pour l'improvisation. Au milieu de la décennie, Bartolomé entre dans le conjunto du village avec lequel il anime les bals et apprend à jouer de la guitare.

En 1936 Bartolomé MORÉ prend la direction de La Havane. Peu de temps après il rentre au pays et chante dans le "CONJUNTO AVANCE" puis s'installe à Camagüey où il forme un trio vocal avec deux anciens de "AVANCE", Enrique BENÍTEZ et Cheo CASANOVAS.

1940. MORÉ est de nouveau dans la capitale et tente sa chance dans l'émission radiophonique La Suprema Corte del Arte. A sa seconde tentative il remporte le premier prix. Bartolomé chante aussi dans les rues et s'abreuve auprès des rumberos de son quartier, le barrio Belén. Il en restera dans sa façon de chanter bien plus que le très beau Son "Rumberos de Ayer" dans lequel il rend hommage aux rumberos disparus, "Chano", "Mulense", "Malanga", "Lilón"…
Il se joint au "SEXTETO FÍGARO" et chante avec lui dans une émission de radio puis, remarqué par "Mozo" BORGELLÁ il s'intègre au fameux "SEPTETO CAUTO" de celui-ci.

La vie est particulièrement dure pour Bartolomé qui chante, chante, sans cesse de rues en cabarets, de la vieille Havane à Marianao.


Bartolomé avant son départ pour la capitale


Il débute en 1944 avec le "SEPTETO CAUTO" dans une émission régulière sur la Mil Diez. Dès lors commence pour MORÉ une vie toujours tumultueuse mais plus stable. Le succès prend forme. Il repose à ce moment principalement sur ses qualités vocales. La voix sensuelle, légèrement mélancolique et marquée par le terroir est celle qui plait au public cubain de cette décennie.

Benny Moré et Miguel Matamoros
Siro RODRÍGUEZ l'entend chanter sur le port, au bar El Templete. Il est impressionné et lorsque quelques temps plus tard Miguel MATAMOROS se trouve momentanément aphone, il négocie avec "Mozo" le prêt de Bartolomé MORÉ pour un passage du Conjunto sur les ondes de la Mil Diez. Le résultat obtenu et l'absence de disponibilté de Lorenzo HIERREZUELO, chanteur ponctuel du groupe, conduit MATAMOROS à engager MORÉ comme première voix.
Bartolomé enregistre alors ses premiers thèmes avec le Conjunto de Miguel et notamment plusieurs compositions de celui-ci, de Siro et de Rafael CUETO parmi lesquelles "Buenos hermanos", "Sere dichoso", "Me la llevo"…
MATAMOROS l'emmène au milieu de 1945 en tournée à México où MORÉ et le "CONJUNTO MATAMOROS" obtiennent un succès exceptionnel, notamment lorsqu'ils se présentent au Rio Rosa ou au cabaret Montparnasse. Bartolomé, pour faire face à la gloire naissante, devient "Benny".
Tandis que le groupe rentre à Cuba,"Benny" reste à Mexico pour se marier mais vraisemblablement aussi parce que déjà le répertoire du Conjunto ne lui convient plus.
Les sonorités nouvelles issues des jazz bands américains et de certains ensembles cubains tipo jazz band l'attirent.
Aidé par le bongosero cubain Clemente PIQUERO, "Benny" MORÉ obtient du Syndicat le droit de travailler. Il chante alors dans les salons et clubs La Playa, Anáhuac, Fénix, Ixtacalco, Río Rosa… et entre dans l'un des meilleurs groupes mexicains du moment "Son Veracruz".

Dans la capitale mexicaine il joue avec l'orquestre de Arturo NUÑEZ puis "Benny" rencontre en 1947 l'orchestre du contrebassiste cubain Humberto CANÉ et enregistre "Puntillita", "¡Cómo gozo!"… Avec le chanteur de "Son Veracruz", Lalo Montané il forme également un exceptionnel duo, le "DUETO ANTILLANO" plus tard rebaptisé "DUETO FANTASMA" . Tous les deux enregistrent pour le compte de la RCAVictor mexicaine avec le jazz band du santiaguero Mariano MERCERÓN récemment installé dans le pays. "Me voy pa'el pueblo", Son de Mercedés VALDÉS est enregistré à cette époque.


Benny avec l'orchestre de Arturo Nuñez.

En 1948 c'est au tour du pianiste et compositeur Dámaso PÉREZ PRADO et de son orchestre de réaliser une tournée au Mexique. Immédiatement Dámaso appelle Benny MORÉ. La rencontre entre les deux hommes va permettre d'une part à PÉREZ PRADO de faire triompher, sous le nom de Mambo, ses conceptions musicales personnelles, boudées jusqu'à ce moment dans l'île et à "Benny", déjà sous les feux des projecteurs de devenir, après le passage au Théâtre Blanquita, El Príncipe del Mambo. Dámaso El Rey del Mambo et El Príncipe del Mambo vont ensemble enregistrer une soixantaine de thèmes entre 1948 et 1950. La plupart sont des mambos et un grand nombre est composé par "Benny"- dépourvu de connaissances musicales- "Locas por el Mambo", "Mamboletas", "Dolor Karabalí", leur meilleur succès.
"Benny" côtoie les plus grands interprètes de la musique mexicaine et se produit fréquemment avec eux et parmi eux, Luís Arcaraz, Juan García Esquivel, Mario Ruiz Armengol
Pendant cette période MORÉ est engagé pour jouer- Carita de cielo avec Ninón SEVILLA-, Quinto patio, Ventarrón… ou chanter : "Al Son del mambo" , "El derecho de nacer" … dans plusieurs films réalisés au Mexique.
A la fin de l'année 1951"Benny" MORÉ rentre définitivement à Cuba. Ses disques, sa réputation l'ont précédé.
Il a acquis d'autre part un jeu de scène prisé par les Mexicains et qui va plaire à ses compatriotes dès lors qu'il y incorpore son traditionnel sombrero et sa canne.
Mariano MERCERÓN l'emmène à Santiago pour participer à Fiesta con Bacardí, un programme de la chaîne de radio Cadena Oriental. L'orchestre compte déjà trois voix exceptionnelles, Fernando ÁLVAREZ, Pacho ALONSO et Manuel LICEA. Avec MORÉ le succès est fulgurant dans tout l'Oriente cubain puis dans le reste de l'île. C'est à Santiago de Cuba que le Príncipe del Mambo devient El Bárbaro del Mambo puis à La Havane lors d'un programme de radio dépourvu de mambo, El Bárbaro del Ritmo .
Des morceaux historiques de "Benny" sont enregistrés, "Bonito y sabroso", "Rabo y Oreja", "Como fue"...
A La Havane, la RCA enregistre l'orchestre de Mariano avec la voix de "Benny" pour des thèmes qui ont séduit les santiagueros, "¡Oh, Barbara !", "Candelina Alé"…
....

Benny Moré en vivo sur Radio Progreso.

Sans abandonner ses activités avec MERCERÓN et la Cadena Oriental, El Bárbaro del Ritmo chante en 1952 pour le nouvel orchestre de "Bebo" VALDÉS et propage le nouveau rythme crée par ce dernier, le Batanga. Malgré la qualité des arrangements et la présence des meilleurs musiciens cubains le rythme ne dure pas et les programmes sur Radio Cadena Azul sont supprimés.

"Benny" MORÉ forme alors son premier orchestre, sa première "Tribu" avec Clemente PIQUERO, bongó; Alberto LIMONTA, contrebasse; Enrique BENÍTEZ, chant; Ignacio CABRERA, piano, un conguero et un joueur de claves. L'expérience est de courte durée, la plupart des musiciens entrent avec MORÉ dans l'orchestre de Ernesto DUARTE et se produisent sur Radio Progreso.
Avec l'orchestre de Ernesto El Bárbaro enregistre. Parmi les pièces de choix entrant dans la polémique qui surgit entre les deux hommes au sujet des droits d'auteur figure le bolero "Cómo fue" .
La discrimination raciale conduit DUARTE à se passer des services de MORÉ et des musiciens de couleur chaque fois qu'il s'agit de se produire en public et, à l'instigation de PIQUERO,"Benny" assisté de son cousin le trompettiste "Chocolate" ARMENTEROS constitue sa "BANDA GIGANTE ".


Benny assurant la publicité d'une marque de lessive. Photographie: Collection Jaime Jaramillo.

Barbare,"Benny" l'est aussi sur le plan du travail. Il se produit partout par simple envie de chanter. On l'entend dans les bals de village, dans les bars de la capitale. Au Cubana Club il chante même en duo avec sa propre voix sortant d'un juxe-boxe.
Dès 1953,"Benny" MORÉ, devenu El Sonero Mayor de Cuba, fait de son ensemble le groupe populaire le plus recherché dans l'île.

Si ses musiciens sont parmi les meilleurs de Cuba, ce sont surtout les qualités du Bárbaro del Ritmo qui conquièrent les foules. Ses qualités sont de deux ordres.
D'une part sur le plan vocal "Benny" possède un registre unique du grave aux aigus. La saveur guajira de sa diction correspond aux goûts de l'essentiel des couches populaires des années cinquante.
Son répertoire couvre principalement le Bolero et le Son-montuno et dans ce dernier domaine "Benny" n'hésite pas à remonter aux sources orientales du Son. Plusieurs thèmes ont leurs racines dans le Nengón et le proto-Son comme "Qué bueno baila usted" que les membres de la famille des VALERA et des MIRANDA chantaient déjà à la fin du siècle dernier sous forme d'un refrain primitif "Castellano que bueno baila Usted"…

Benny Moré, "Castellano sue bueno baila Usted".

Dans tous les cas les textes sont simples.
Rythmiquement la "BANDA GIGANTE" ne recherche pas la complexité que possèdent les conjuntos noirs qui mettent en difficultés les danseurs et de fait excluent le danseur blanc.D'autre part, les arrangements proposés par "Benny" sont exceptionnels et tous les témoignages concordent. MORÉ les réalisait sans rien écrire en indiquant, à partir de son incroyable oreille, et pour chaque musicien ce qu'il y avait à faire. Parmi les grands thèmes enregistrés à cette période "Como arrullo de palmas", et le célèbre "¡Oh ! Vida" .

Avec la "BANDA GIGANTE", "Benny" MORÉ parcourt l'Amérique Latine entre 1955 et 1957. En 1957 il chante pendant deux semaine à Caracas accompagné par l'orchestre "Billo's Caracas Boys" puis se rend aux Etats Unis où il chante pour la cérémonie des Oscars et exceptionnellement la "BANDA GIGANTE" n'est pas du voyage, c'est la formation de Luís Arcaraz qui l'accompagne.
Chaque fois qu'il se trouve à Cuba MORÉ fréquente les fêtes populaires et s'y exprime sans compter oubliant certaines fois de se présenter avec son orchestre pour honorer un contrat.

Avec Roberto Faz au Cabaret Ali Bar.
En marge de la "BANDA GIGANTE", "Benny" chante pour des enregistrements avec d'autres formations comme la "ARAGÓN"... mais surtout dans les cabarets et fait les beaux jours de La Campana, du Montmartre, du Sierra, du Tropicana en 1956 et surtout du Ali Bar son lieu de prédilection. On l'écoute aussi au Sans Souci. Il est sur les ondes, à la télévision… Il est partout sauf dans les fiefs de la haute bourgeoisie créole. Le Vedado Tenis Club, le Country Club, le Miramar lui ferment leurs portes. Benny MORÉ sent trop le guajiro.

 

1958. Il chante à Santo Domingo à Haïti, et au Perou, accompagné par des formations locales.
En réalité il est physiquement épuisé et dès 1959 pratiquement condamné. Il prend parti pour la Révolution et continue de parcourir l'île. Cette même année il participe au Festival de la Cultura organisé par le gouvernement des Barbudos.
L'année suivante il se présente à la fois au Night & Day et au Sierra. En 1961 il offre gracieusement tous les jeudis un show à Varadero dans le cadre de la campagne d'alphabétisation. Il est choisi pour inaugurer le projet 8 Mil Taquillas à Varadero. Après l'affaire de la Baie des Cochons, "Benny" se produit avec le "CONJUNTO CASINO" dans le but de rassembler des fonds pour acheter des armes aux Forces Armées.

En 1962 une tournée en France se prépare mais "Benny" MORÉ est en fait totalement rongé par la cirrhose. Le voyage est suspendu. El Sonero mayor ne renonce pas à ses bals populaires. En février 1963, il est encore l'auteur d'une prestation exceptionnelle à la tête de la "BANDA GIGANTE" à Palmira prés de Santa Isabel de las Lajas sa ville natale. Il chante "Maracaïbo", "Castellano qué bueno baila usted"… Il rentre d'urgence à La Havane à l'issue du spectacle et décède deux jours plus tard.

© Patrick Dalmace

Discographie sélectionnée:
* " Antología Integral ", Vol. 1, 2, 3, 4, 5, México & La Havane 1944-1952, Egrem CD 341à 345.
* " Benny Moré... de verdad ", LH. Egrem CD 008.
* " Benny en dúos ", Artcolor.
* " Benny Moré cantó a mi Cuba ", Egrem, CD 0181.
* "
Últimas grabaciones ", L.H. 1963, Museo Nacional de la Música.

* Cf. "BANDA GIGANTE de Benny MORÉ"

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